Des perspectives de traitement de l’intolérance au gluten grâce au microbiote intestinal ?

Des perspectives de traitement de l’intolérance au gluten grâce au microbiote intestinal ? C’est ce sur quoi Harry Sokol, médecin à l’APHP et chercheur à l’INSERM et l’INRAE, travaille. On l’a interviewé pour y voir plus clair !

Petit rappel sur le microbiote intestinal

Avant de commencer l’interview on s’est dit que ce serait bien de refaire le point sur le microbiote intestinal.

Les bactéries du microbiote intestinal ©Géralt
Les bactéries ©Géralt

Vous le connaissez d’ailleurs peut-être déjà sous le nom de flore intestinale. Ce sont tous les organismes vivants qui colonisent notre tube digestif et influencent son efficacité. Les chercheurs ont observé qu’une flore intestinale variée était synonyme de bonne santé et que lorsque celle-ci s’appauvrissait, les pépins de santé rappliquaient…

Harry Sokol, ce nom vous dit quelque chose ? C’est parce qu’on l’avait interrogé sur les tests permettant de mesurer la perte de diversité du microbiote intestinal. Hépato-gastro-entérologue à l’hôpital Saint-Antoine, il préside également le Groupe Français de Transplantation Fécale et travaille au sein du Centre de Recherche Saint Antoine (INSERM, Sorbonne Université) et de l’unité Micalis (Microbiologie de l’alimentation au service de la santé) de l’INRAE.

Des perspectives de traitement de l’intolérance au gluten grâce au microbiote intestinal ?
©National Cancer Institute

Ce spécialiste du microbiote a participé à une étude en collaboration avec les équipes de l’Université McMaster au Canada, de l’INRAE, de la Sorbonne Université, de l’INSERM, de l’AP-HP et de l’université de Wageningen aux Pays Bas dont les résultats ont été publiés fin 2020.

Faut-il s’en réjouir ou s’en méfier ? Harry Sokol nous aide justement à y voir plus clair sur ce traitement de l’intolérance au gluten grâce au microbiote intestinal qui suscite beaucoup d’intérêt !

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui a motivé vos recherches de traitement de l’intolérance au gluten grâce au microbiote intestinal ?

Harry Sokol : Notre équipe travaille depuis plusieurs années sur le rôle du métabolisme du tryptophane par le microbiote intestinal.

Des perspectives de traitement de l’intolérance au gluten grâce au microbiote intestinal ?
©National Cancer Institute

Lors de précédentes études, nous avons découvert que le microbiote des patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (maladie de Crohn ou Rectocolite Hémorragique) avait un défaut de métabolisme du tryptophane, c’est-à-dire qu’ils ne le transformait pas correctement, ce qui conduisait à une diminution de production de molécules anti-inflammatoires. Sur des souris, lorsqu’on corrige ce défaut, cela permettait de réduire l’inflammation intestinale.

Lorsque les patients atteints de maladie cœliaque ingèrent du gluten, une réaction auto-immune se produit provoquant une inflammation de la paroi de l’intestin grêle, ce qui le détruit. Nous nous sommes donc demandés si une altération du métabolisme du tryptophane ne jouait pas un rôle.

NDLR : la maladie cœliaque s’appelle aussi intolérance au gluten. Attention à ne pas la confondre avec l’hypersensibilité au gluten, qui est une autre pathologie qui touche 45% des sans gluten ! On vous explique tout ici.

Avant qu’on parle des résultats de l’étude, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le tryptophane ?

Des perspectives de traitement de l’intolérance au gluten grâce au microbiote intestinal ?
©Pawel Czerwinski

Harry Sokol : le tryptophane est un acide aminé dit essentiel. Notre métabolisme ne peut pas le fabriquer lui-même, on le trouve donc dans ce qu’on mange (volaille, chocolat,…). Le tryptophane sert à la fabrication de protéines, mais c’est aussi un précurseur de nombreuses molécules actives.

Quand il fonctinone normalement, le microbiote intestinal utilise le tryptophane pour produire de nouveaux composés qu’on appelle dérivés indoles. Ces dérivés indoles vont activer les récepteurs AhR (Aryl hydrocarbon Receptor, soit récepteur Aryl hydrocarbure) présents sur des cellules de l’intestin. Lorsque ces récepteurs AhR sont activés, on observe que la barrière intestinale se renforce ou encore que le système immunitaire est stimulé, ce qui permet d’atténuer l’inflammation de l’intestin et de préserver l’équilibre du microbiote intestinal. 

NDLR : et comme on l’a expliqué juste au dessus, le fait d’avoir un microbiote en bonne santé et équilibré c’est le Graal pour être en bonne santé !

Comment et où cette étude sur les cœliaques s’est-elle déroulée ?

Harry Sokol : Nous avons d’abord testé nos hypothèses sur des souris.

Des perspectives de traitement de l’intolérance au gluten grâce au microbiote intestinal ?
©Thisisengineering Raeng

En faisant varier les doses de tryptophane dans leur alimentation, on a observé que cela modifiait leur microbiote intestinal ainsi que la production des dérivés indoles, permettant de diminuer les effets négatifs de la maladie cœliaque sur l’intestin grêle des souris. Des résultats similaires ont été obtenus en administrant aux souris des bactéries produisant naturellement des dérivés indoles.

Comme les résultats étaient concluants, nous avons organisé un essai clinique au Canada avec vingt-six personnes. Douze personnes dont la maladie cœliaque était active, c’est-à-dire qu’ils venaient d’être diagnostiqués et n’avaient pas encore commencé leur régime sans gluten. Six cœliaques qui suivaient un régime sans gluten et donc n’avaient plus de signe de la maladie. Et enfin, dix-huit sujets sains, sans pathologie, afin de comparer les résultats.

Qu’avez-vous observé chez les cœliaques au cours de l’essai clinique ?

Harry Sokol : Chez les patients avec maladie cœliaque active, nous avons observé une diminution de la production de dérivés indoles par le microbiote. L’observation des prélèvements intestinaux, a montré des signaux de défaut d’activation des récepteurs AHR.

Est-ce que ça signifie qu’il existe désormais un traitement de l’intolérance au gluten grâce au microbiote intestinal ?

Des perspectives de traitement de l’intolérance au gluten grâce au microbiote intestinal ?
©Anshu A

Harry Sokol : cette étude ne nous permet pas de dire si l’on soignera la maladie cœliaque grâce à un apport en tryptophane ou en bactéries produisant des dérivés indoles.

Mais cette dernière nous permet de dire qu’il se passe des choses au niveau du microbiote et qu’on sait réduire l’inflammation et les autres lésions caractéristiques de l’intolérance au gluten en jouant sur le métabolisme du tryptophane, tout au moins chez la souris.

Il reste maintenant à tester ce type de traitement chez des patients, ce qui reste une étape très difficile. Ce traitement pourrait se présenter sous forme de gélules contenant des probiotiques produisant des dérivé indoles et qui seraient à prendre régulièrement. Quant à déterminer quelle dose administrer, on n’a pas vraiment d’éléments car chaque microbiote est unique. Ce sera à tester au cours d’essais cliniques.

Cet article a été publié le 8 février 2021 et a depuis été mis à jour par l’équipe.

La photo de couverture est signée : ©Anshu A


A PROPOS DE L'AUTEUR

Cécile Gleize

Fondatrice de Because Gus et gluten free !

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  1. Pingback: La magie de la digestion - Because Gus

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