Le programme GlutN se penche sur la sensibilité au gluten pour mieux la comprendre. Interview avec Catherine Grand-Ravel, membre de l’Unité de recherche Génétique à l’INRAE, qui coordonne ce programme.
D’où vient le besoin d’étudier la sensibilité au gluten ?
Catherine Grand-Ravel : De plus en plus de gens se plaignent auprès de leur médecin de ne pas digérer le gluten. Pourtant ils ne sont ni cœliaques, ni allergiques au blé.
Avant que le programme GlutN ne démarre en janvier 2018, on ne savait même pas combien de personnes étaient concernées.
NDLR : la sensibilité au gluten, hypersensibilité au gluten, sensibilité au gluten non cœliaque… tous ces noms désignent la même chose.
Comment définissez-vous la sensibilité au gluten ?
Catherine Grand-Ravel : la sensibilité au gluten est une «entité clinique au cours de laquelle l’ingestion de gluten entraîne des symptômes digestifs et/ou extra-digestifs et qui régressent sous régime sans gluten, après élimination d’une allergie au blé et d’une maladie cœliaque». C’est la définition qu’en donnent les médecins.
Ce n’est clairement pas une pathologie bien définie, on ne dispose d’ailleurs pas d’outil pour la diagnostiquer.
Avant le programme GlutN, la sensibilité au gluten a-t-elle déjà été étudiée en France ?
Catherine Grand-Ravel : Oui il y a d’autres programmes de recherche sur la sensibilité au gluten.
Par exemple, le programme GlutHealth de l’INRA étudie depuis 2017 l’impact d’un régime appauvri en gluten sur le bien être et la performance d’athlètes de haut niveau
NDLR : Si vous n’avez pas lu notre article sur Novak Djokovic ou celui sur les champions qui arrêtent le gluten, c’est le moment ou jamais !
Il y a également le programme GlutNsafe financé en partie par le Fonds de Soutien à l’Obtention Végétale (FSOV).
Les sélectionneurs de blé sont très concernés par ces problèmes et que la filière cherche des solutions pour proposer des alternatives pour tous ceux qui ne parviennent plus à digérer le gluten.
L’objectif de ce programme est d’identifier des caractères liés à la digestibilité du gluten pour ensuite les appliquer et sélectionner des variétés de blés avec un gluten plus facilement digestible. Ce programme a été lancé en 2016 pour quatre ans.
Qui finance le programme GlutN et ses recherches ?
Catherine Grand-Ravel : Ce programme est financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) à hauteur de presque 757 000 euros pour quatre ans. Il regroupe neuf partenaires dont trois sont des entités privées.
Pour les partenaires publics, il y a cinq équipes dans lesquelles l’INRA est partie prenante, qui travaillent sur les questions de génétique, de qualité, de nutrition et d’épidémiologie. Le Centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand gère quant à lui l’étude clinique.
Il y a également trois partenaires privés : Dijon Céréales, Axiane Meunerie et le Centre d’information des farines et du pain. Les deux premiers travaillent avec nous sur la panification et le dernier est en charge de la communication.
Quel est le but ou la finalité du programme GlutN ?
Catherine Grand-Ravel : Le programme GlutN a plusieurs finalités. Au niveau humain, il vise à déterminer les causes de la sensibilité au gluten, d’en déterminer la fréquence et de développer un outil de diagnostic.
Au niveau plante, il s’agit de voir s’il est possible de trouver de nouvelles variétés qui seraient à la fois mieux tolérées pour les personnes sensibles au gluten tout en ayant les propriétés nécessaires pour qu’on puisse ensuite les transformer en produits.
NDLR : Ces produits ne pourront en revanche pas convenir aux cœliaques car ils contiendront du gluten.
Comment fonctionnent vos recherches ? Quelles sont vos avancées et quelles difficultés rencontrez-vous ?
Catherine Grand-Ravel : La grande originalité du programme GlutN c’est qu’il va du patient à la plante ou de la plante au patient, comme on veut !
Nous avons d’abord commencé par analyser toutes les caractéristiques de 75 variétés de blés, modernes et anciennes. Trois sortes de pains, qui devraient être plus ou moins digestes, ont été fabriquées par Dijon Céréales avec différentes variétés de gluten. La digestibilité de ces pains est analysée de sorte à établir des relations entre la recette de panification et/ou les caractéristiques de la plante.
Pour l’analyse de digestibilité, nous passons chaque produit dans un masticateur, une machine qui reproduit la mastication. De premières analyses sont réalisées sur les bols alimentaires produits. Ces bols sont ensuite utilisés pour « nourrir » une autre machine qui reproduit le processus de digestion humaine. A nouveau, on mesure et analyse ce qui en sort pour voir la digestion du gluten et comprendre ce qui se passe dans le corps humain.
A ce travail s’ajoute une l’étude clinique, dans laquelle des tests sont réalisés avec des personnes sensibles au gluten. Cette phase se déroulera au CHU de Clermont-Ferrand.
Au cours de l’étude clinique, les patients recevront dans un premier temps, pendant une semaine, des produits sans gluten, puis deux semaines de pause et pendant une autre semaine, des produits avec gluten. Ces produits, avec ou sans gluten, ont été choisis de sorte à être le plus proche possible l’un de l’autre. L’idée est que ni le patient, ni le médecin ne sache ce qui est consommé lorsque le produit sera donné. Cette première partie permettra de savoir si le gluten est vraiment responsable de l’hypersensibilité car c’est un point qui est encore discuté.
Des prélèvements urinaires et sanguins réalisés sur les patients à la fin de chaque phase devraient permettre de détecter un marqueur de la sensibilité au gluten que les médecins pourraient utiliser comme test.
Dans une seconde partie, les personnes consommeront quelques pains parmi ceux préalablement étudiés dans l’espoir de pouvoir identifier un pain que ces patients pourraient consommer sans problème.
Où en est le programme GlutN en 2021 ?
On a rappelé Catherine Grand-Ravel pour savoir où en étaient les recherches des différentes équipes qu’elle coordonne pour le programme GlutN. Voici ce qu’elle nous a répondu :
Catherine-Grand Ravel : comme pour tout le monde, ce n’est pas un scoop, l’année 2020 a aussi été compliquée pour nous !
Nous avons analysé les différentes variétés de blé, comme je vous l’expliquais. Nous avons aussi travaillé sur les différentes techniques pour faire du pain afin de vérifier si le problème ne viendrait pas plutôt ou également des techniques modernes de production du pain. Les pains plus ou moins digestes sont désormais prêts à être testés. Nous n’attendons plus que le début de l’étude clinique pour vérifier nos hypothèses.
Or avec la pandémie, c’est compliqué. Nous avons mis en place un protocole, demandé toutes les autorisations et n’attendons plus que le feu vert du CHU de Clermont-Ferrand…
Autre point intéressant, avec Emmanuelle Kesse-Guyot du centre EREN, nous avons réalisé une étude épidémiologique avec Nutrinet afin de connaître la prévalence de l’hypersensibilité au gluten. Grâce à cette étude, nous avons découvert que 3% de la population française était sensible au gluten !
NDLR : Ce qui vient corroborer les résultats de notre baromètre sans gluten ! D’après notre étude : 8% des français mangent sans gluten et parmi eux 45% sont hypersensibles au gluten… ce qui fait, si vous suivez bien , 3% de Français qui sont hypersensibles. On a donc désormais deux études sur les sans gluten, qui avec deux méthodologies différentes, parviennent au même résultat, ce qui les renforce !
Les avancées de la recherche sur les hypersensibles au gluten en 2022
Puisque la recherche avance nous avons à nouveau appelé Catherine Grand-Ravel pour savoir où en étaient ses travaux ainsi que ceux de ses collègues.
Les résultats de l’étude GlutNsafe
Catherine Grand-Ravel : il y a du nouveau puisque l’étude GlutNsafe a rendu ses conclusions et celles sur le blé tendre ont été publiées dans la revue Journal of Cereal Science !
L’objectif de cette étude était de savoir si les variétés de blé dites anciennes, inscrites au catalogue officiel des espèces et variétés végétales avant 1960, étaient plus digestes que les variétés dîtes modernes, inscrites après 1960.
Pour cela nous avons cultivé et récolté 75 variétés de blé tendre et 25 variétés de blé dur. Malheureusement, pour des raisons financières et logistiques nous n’avons pas pu toutes les tester. Nous les avons donc analysées, classées en différents groupes selon leurs caractéristiques et n’avons testé qu’1 à 2 variétés par groupe. Au final, nous avons donc testé 17 variétés de blé tendre et 4 variétés de blé dur.
Nous avons transformé les blés en farine. Avec les farines de blé dur nous avons fait des spaghettis et du pain avec les farines de blé tendre. Toutes les pâtes ont été élaborées avec la même recette et les pains avec la même recette afin de comparer ensuite les protéines de gluten présentes dans ces produits, les réseaux de gluten et d’autres paramètres…
La digestibilité a été mesurée grâce à un masticateur et une machine reproduisant la digestion humaine. Nous avons ainsi établi que les variétés de blés dites anciennes n’étaient pas plus digestes ou indigestes que les variétés de blés dites modernes. Si certaines variétés blés sont moins digestes que d’autres, ce n’est pas parce qu’elles datent d’après 1960. Cela vaut tant pour les blés tendres que pour les blés durs. Nous aurions cependant aimé tester plus de variétés de blés durs pour que les résultats soient plus solides.
Les résultats de l’étude « Gluten mythe ou réalité ? »
Une autre étude en cours a également rendu ses conclusions en février 2022. Il s’agit de l’étude « Gluten, mythe ou réalité ? A la recherche des personnes hypersensibles », menée à l’INRAE de Montpellier par Marie-Françoise Samson, Dominique Desclaux, Gregori Akermann et Yuna Chiffoleau.
Cette étude a vu le jour car ces chercheurs travaillaient avec des agriculteurs locaux, qui transforment leur production en farines, semoules, pains ou pâtes. Or ces derniers constataient que si de plus en plus de sensibles au gluten ne digéraient pas les pains et pâtes vendus en grandes surfaces, ils digéraient au contraire très bien ces mêmes produits, fabriqués de façon artisanale. Ces agriculteurs se demandaient donc si leurs produits étaient réellement plus digestes pour les hypersensibles au gluten et surtout comment l’expliquer.
Pour appréhender les différences entre les deux types de production, l’équipe a vérifié l’état des protéines de gluten à toutes les étapes du process y compris après cuisson, tel qu’on consomme le produit. L’hypothèse de départ était que moins les protéines seraient dénaturées ou agrégées par le processus de fabrication, plus il serait ensuite facile de les extraire en laboratoire, ce qui indiquerait une meilleure digestibilité, car elles seraient ainsi plus accessibles aux enzymes digestives. Ce qui serait ensuite confirmé, toujours en laboratoire, à l’aide d’enzymes ayant un rôle dans la digestion. Plus les enzymes parviendraient à dégrader ces protéines de gluten, meilleure la digestibilité serait.
L’équipe a commencé par vérifier s’il y avait ou non des différences entre les blés dits anciens, datant d’avant 1960 et ceux dit modernes, datant d’après 1960. Les chercheurs n’ont pas relevé de différences entre ces 2 périodes mais ont repéré des différences au sein de chacune des variétés.
Ce sont donc 11 variétés de blé tendre et 8 variétés de blé dur recommandées par les industriels qui ont été comparées à 5 variétés de blé tendre et 3 variétés de blé dur utilisées par les paysans-meuniers, des paysans-boulangers et des paysans-pastiers. Ce qui les différencie, c’est que les variétés utilisées par l’industrie sont toutes des lignées pures. Tous les grains de blé sont identiques, ce qui permet d’avoir des résultats homogènes une fois le grain moulu. Tandis que les blés utilisés par les artisans peuvent être des variétés populations. Il peut donc y avoir des mélanges dans les champs, ce qui permet de préserver les récoltes contre les maladies. Les produits obtenus sont en revanche susceptibles d’être moins homogènes que ceux de l’industrie.
Là encore, pour les pains comme pour les pâtes, l’équipe n’a pas trouvé de différences significatives entre les produits issus de variétés utilisées par les industriels et celles utilisées par les paysans, mais des différences ont été notées entre les variétés, au sein de chaque groupe.
A partir de là, les chercheurs se sont donc intéressés à l’impact des différentes étapes du processus de fabrication du pain et des pâtes sur la quantité et la qualité du gluten dans un produit final. Ils ont donc étudié les procédés de mouture pour obtenir la farine de blé, l’utilisation de levain ou de levure pour la fermentation, la façon de pétrir le pain, la durée de fermentation et enfin le mode de cuisson. Ici seules 2 variétés utilisées par les industriels et 2 variétés utilisées par les paysans ont été comparées toujours pour des questions logistiques et financières.
Il en ressort que le processus de fabrication avait, quant à lui, un impact considérable sur la digestibilité des protéines de gluten contenues dans ces pains. Ainsi ceux réalisés à partir de moutures obtenues sur meules de pierre, pétris mécaniquement, auxquels on a ajouté du levain, qu’on a laissé fermenter longtemps puis qui ont été cuits dans un four à bois auraient plus de protéines facilement solubles et seraient donc plus digestes pour les sensibles au gluten. Pour les pâtes, la méthode utilisée pour le séchage à très haute température dégradait plus les protéines et avait ainsi un impact négatif sur leur digestibilité.
Ainsi l’étude conclut que le processus de fabrication a des conséquences sur la structure des protéines de gluten et donc leur susceptibilité à être plus digestes en laboratoire plus importantes que les variétés des blés (modernes vs. anciennes ou utilisées par les industriels vs. utilisées par les agriculteurs-paysans). Reste désormais à tester cela auprès de malades pour confirmer ces résultats !
Les avancées du programme GlutN
Catherine Grand-Ravel : Enfin le programme GlutN a aussi bien avancé ! Nous testons 4 variétés de blés tendres avec pour chacune 3 recettes de pains que nous avons mis au point. Nous avons testé à plusieurs reprises les 12 pains obtenus à l’aide du masticateur et du digesteur artificiel. Il ne nous reste plus qu’à analyser les données, ce qui prend du temps ! Je voulais également tester le petit-épeautre en plus des différentes variétés de blés, puisqu’il s’agît d’une autre espèce dont on parle beaucoup. Malheureusement la récolte prévue à cet effet en 2017 a été très mauvaise. Je n’ai donc pas pu inclure cette céréale dans mon étude.
En parallèle Corinne Bouteloup a recruté des patients hypersensibles non-coeliaques pour sa partie de l’étude. Avec son équipe elle observe dans un premier temps l’impact de différents aliments, dont ceux contenant du gluten, sur ces patients pour vérifier si le problème vient bien du gluten. Toutes les réactions des patients sont notées et plusieurs prélèvements sont réalisés pour documenter cela.
A la fin de cette étape, si le gluten est bien ce qui rend les patients hypersensibles malades, nous feront tester aux patient le pain que nous avons établit comme plus digeste tant du point de vue de la variété du blé que de la recette. L’idée à terme étant de pouvoir proposer des pains qui seraient bien tolérés par ces malades. Nous espérons que cette deuxième partie de l’étude se déroulera à partir du mois de janvier 2023.
Cet article a été publié le 30 septembre 2019 et a depuis été mis à jour par l’équipe.
La photo de couverture est signée : ©Spring Fed
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